Le tour de la France, exactement by Lionel Daudet

Auteur:Lionel Daudet [Daudet, Lionel]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Stock
Publié: 2013-06-13T04:00:00+00:00

De la voile encore pour traverser l’estuaire de la Gironde, avec un gars aux mains calleuses et avec les mêmes rides de malice que Jean, ce doit être de famille, mais non, c’est juste son pote. Nous partons trop tôt – comprendre la marée n’est pas assez haute. Nous voilà toutes voiles dehors au milieu des pontons, lamentablement échoués, gloussant comme deux dindes. Pour un départ discret, c’est plutôt raté. Heureusement, l’homme à tout faire du port de Royan connaît bien la capitainerie. Spi gonflé comme une baudruche, nous attendons vainement la risée salvatrice, des mains secourables viennent haler le bateau qui finit par se déséchouer dans un imperceptible tremblement. Le Dodtour ne souffre aucune dérogation quant à l’usage de moyens motorisés, et le ridicule n’a jamais tué, n’est-ce pas ?

Désormais plus de deux cents kilomètres de plages, dernière ligne droite avant les Pyrénées, s’étendent devant moi. Une monotonie, me disent certains. Rien n’est plus faux. Le spectacle quotidien de l’océan me ravit, qui change sans arrêt, qui émerveille mon regard de vagabond des confins : lumières pastel de l’hiver qui rasent la crête des vagues, va-et-vient des rouleaux rageurs, écume qui court comme un serpent, mousse qui vole, éclat d’une once de sable chassée par la roue, et puis, malheureusement aussi, de nombreux dauphins échoués.

Souvent dans ces moments somme toute simples, mon esprit musarde, une pensée surgit, transforme ce voyage en une allégorie de la vie : une arête-ligne de vie, fragile et trop effilée, sur la frontière en montagne, un pas de côté serait fatal. Ou là, une grande ligne droite sur le littoral. Je repense à cette jeunesse qui avait manifesté il y a quelques années… pour sa retraite. Sans doute ses intentions étaient-elles louables mais je me souviens d’avoir été stupéfié par cette vision linéaire et parfaitement prédéfinie de la vie : études, métier, retraite et mort (mais, elle, on n’en parle pas). Un peu comme le métro, boulot, dodo dont avaient voulu s’affranchir les années 1970, qui cherchaient à s’ouvrir sur d’autres horizons, plutôt que de se tisser un cocon sécurisé. La vie est tout sauf une ligne droite dont il serait impossible de s’écarter. Non, la vie est ce voyage, que j’ai choisi, qui m’amène de découverte en découverte, vers un inconnu dont je ne cesse de me nourrir, et de tirer une force. Faire confiance.

La côte landaise, beaucoup de sable, contraste fortement avec les côtes de la Charente, beaucoup de marais salants. Seules quelques stations balnéaires où les Bordelais débarquent en force aux beaux jours troublent un peu ce mariage réussi des dunes et de la mer. Des immeubles ternes tentent là de draguer la voisine d’en face. Mais, la plupart du temps, les villages se tapissent timidement derrière les cordons dunaires, noyés dans les pinèdes aux arbres impeccablement dressés.

Interlude maritime au cap Ferret : un radiologue aux yeux clairs, ancien champion du monde de course en ligne de kayak, vient à ma rencontre en pirogue pour passer le bassin d’Arcachon. Chaque fois

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